Alors, pourquoi vous parlez de ce vieux film aujourd’hui, en ce jour de Pardon de la batellerie ?

Et bien parce que le film se déroule sur une péniche de transport appelée l’Atalante qui navigue en Seine dans les années 30. “L’atalante” de Jean Vigo constitue donc tout d’abord un document exceptionnel sur la vie et l’habitat des mariniers d’avant guerre. Une exposition est en cours à l’Orangerie du Chateau du Prieuré qui abrite le musée de la batellerie. Cette exposition propose une reconstitution du logement des mariniers.
De la même façon, le film l’Atalante donne à voir ce qu’était la vie quotidienne et le logis des bateliers de l’époque.

Voilà pour l’anecdote et pour faire le lien avec la thématique de notre émission. Mais au delà de ça, “L’Atalante” est un monument sans doute sans égal dans le cinéma français et pour le cinéma tout court. J’invite tout le monde à voir ce chef d’oeuvre qui est régulièrement classé au palmarès des 10 meilleurs films jamais réalisés.

De l’Atalante, François Truffaut a dit qu’il fut pour lui “un très grand choc, une révélation”. l’influence de Jean Vigo est en effet perceptible dans l’ensemble de son oeuvre (influence très directe dans “Les 400 coups”)



Qui est Jean Vigo ?

Jean Vigo est un cinéaste d’origine espagnole dont le père était anarchiste. En 1933, il tourne “Zéro de conduite” qui sera censuré jusqu’en 1945 parce que jugé trop critique à l’égard de l’institution scolaire et du pouvoir en général. Inutile de dire que ce premier opus fut une catastrophe financière pour son producteur (Jacques Louis Nounez). Avec ce 2ème film, Nounez veut à nouveau donner sa chance à Vigo, en lui proposant ce film de commande, qui vise donc au succès commercial, et souhaite évacuer les messages politiques et par trop subversifs dont Jean Vigo était coutumier.

Aussi le scénario tient-il en une histoire très classique, banale voire un peu mièvre : une jeune fille de la campagne rêve d’aventures. Elle épouse un marinier un peu bourru et est du coup déçue par la relative monotonie de la vie à bord. Une bluette comme il s’en faisait beaucoup dans le cinéma d’avant guerre. Tout le génie de Jean Vigo va consister à exploiter à fond toutes les potentialités de mise en scène d’un scénario très convenu. Il fait véritablement oeuvre de transfiguration.

Au final, “L’Atalante”, grâce à la poésie de son auteur, baigne dans un climat onirique, proprement surréel (sinon surréaliste). Nous sommes dans les années 30 et les amis de Vigo s’appellent Jacques et Pierre Prevert (qui seront les scénaristes de réalisme fantastique français, voir les Enfants du paradis) et aussi Paul Grimault (auteur du célébrissime dessin animé “Le Roi et l’oiseau”). Tous trois apparaissent dans le film, sans être cités au générique. Leur présence atteste à elle seule des ambitions artistiques de Jean Vigo, qui s’accorde assez mal avec les objectifs commerciaux affichés de la production.

Michel Simon en père Jules, second de l’Atalante, bourlingueur excentrique à la Blaise Cendras , fait ici une prestation inoubliable, mais cela ne permettra pas de sauver le film du naufrage commercial. “L’Atalante” sort d’ailleurs sous le titre “Le chaland qui passe”, tube d’une chanteuse de variétés de l’époque appelée Lys Gauty. Le film est copieusement charcuté au montage, et Jean Vigo gravement malade de la tuberculose n’y pourra rien. Il mourra d’ailleurs une semaine après que le film maudit soit retiré de l’affiche.

Film inachevé, “l’Atalante” va connaître une postérité considérable avec le travail entrepris par les historiens du cinéma, pour proposer une version définitive du montage qui fut fidèle à celle souhaitée par Jean Vigo.

Une scène d’anthologie, celle de la danse sous-marine, restera à jamais dans la mémoire universelle du cinéma . Emir Kusturica,lui même, Palme d’or à Cannes, pour “Underground”, rend hommage à cette prouesse cinématographique, dans plusieurs séquences de son film.

L’Atalante” est l’unique long métrage maudit d’un génie du cinéma mort beaucoup trop tôt (il avait 30 ans). Quelle aurait pu être son oeuvre s’il avait vécu ? Nul doute qu’il aurait figuré au Panthéon des plus grands cinéastes français de l’après guerre, parmi lesquels René Clément ou Marcel Carnet pour ne citer que ceux là.

Le destin en a décidé autrement, et il nous reste aujourd’hui le prix Jean Vigo, créeé en 1955, qui chaque année vient récompenser un jeune réalisateur, qui se distingue par son indépendance d’esprit et la qualité de sa mise en scène.

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